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Ce qui est là Éric Suchère

Ici, une peinture dont la teinte se dégrade, de haut en bas, de rose vers orange. Là, une autre, vert pâle qui se sature de plus en plus. Ici, encore un bleu profond virant presque au noir. Là, encore un violet qui se pare d'une auréole ocre orangé, ou bien de vert sur les bords, ou d'une luminescence diffuse à peine perceptible. Ou : comment un bleu s'éclaire, devient brillance de la teinte de la manière la plus naturelle possible, comme si rien de l'avait provoqué, comme si cela émanait de la teinte elle-même. Les peintures de Gilles Teboul sont cela, ne sont que cela, des « purs ongles très haut dédiant leur onyx » : une couleur qui apparaît et se module sur une surface restreinte, cadrée, orthogonale dans une opposition entre la diffusion de la couleur qui provoque un espace non mesuré et la limite de l'objet tableau qui l'enferme et la cadre – « que dans l'oubli fermé par le cadre se fixe ». Le tableau est une limite dans l'illimité, parfois soulignée par une légère blancheur sur les bords, parfois une brillance. Ces tableaux ne questionnent pas – pour reprendre un stéréotype de la critique d'art et de la médiation –, pas plus qu'ils ne n'interrogent. Ils ne sont qu'une tonalité qui se diffuse, migre, absorbe la lumière, la renvoie, s'éteint ou irradie, se modifie en fonction de la lumière, s'affirme ou s'abolit. Ils ne sont que des fantasmagories colorées et luxueuses qui ne font apparaître que ce qu'elles sont.

Si la peinture déposée sur la toile est bien matérielle, le spectacle qu'elle offre nie en partie cette matérialité, comme la couleur apparaît immatérielle et nie la matière qui la porte. D'autant que la surface résineuse semble placer la couleur dans un espace trouble. La couleur nous semble, de loin, à la surface et, de près derrière une surface qui ne se laisse pas percevoir. La couleur est à la surface et derrière la surface, enfouie dans la profondeur de la matière mais sans que l'on puisse localiser où. Cette ambiguïté entre le fond et la surface donne la sensation que le fond remonte à la surface et que la surface s'engloutit en elle-même. La peinture, ainsi, met à distance le regard, crée une distance entre l'objet matériel que nous concevons – la toile – et le trouble de ce que nous percevons – la fantasmagorie. En ce sens, la peinture est à la fois objet et image, un réel et un irréel. Un objet coloré est là qui se dissout en lui-même et devient sa propre image.

Il ne s'agit pas de l'image d'une aurore boréale, d'un coucher de soleil ou de quelque spectacle naturel, ni même de son équivalent, et pas plus d'une transposition, mais d'une surface colorée qui est à la fois elle-même et crée sa propre image d'elle-même, ici et là, à la fois ici et pas là. Tout cela amplifié par la brillance de la surface – « ce lac dur oublié que hante sous le givre » – qui, tout en ajoutant une distance à la couleur vient refléter l'espace environnant, vous, moi, toute comme la peinture qui pourrait se trouver en face et accentue l'idée – perçue d'abord – de l'image comme reflet. La peinture de Gilles Teboul est un réel et un reflet, un réel et son reflet et l'on a beau regarder, l'on s'y mire autant que l'on s'y plonge, à la fois sur et dans. Elle est une utopie au sens littéral du terme, sans lieu, en l'absence de lieu – « Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne ».

L'objet se fait et se défait, sans cesse, dans l'acte de regarder, balançant continuellement entre ces deux états, pauvre objet de toile, de résine et de pigment et absolu de son annulation.
Ce que nous voyons renvoie, en cela, à la réalisation des œuvres. Gilles Teboul a conçu une chimie, un mélange de résine et de pigments qu'il verse sur une toile posée au sol, toile qu'il cale pour qu'elle soit le plus horizontale. Il faut attendre le lendemain pour que le mélange fasse apparaître la couleur et ses modulations et pour que la peinture – l'objet pictural – apparaisse au peintre. Même si un résultat est escompté, le mélange, la température, une légère déclivité... vont produire un effet qui n'est pas totalement prévisible – réussi ou non. Il y a un acte de déposition et un moment de révélation. La chose se dépose, matérielle, et se révèle à la fois matériellement. La couleur a fini par émerger et se fixer, est devenue surface et image. Elle est apparue et c'est ce à quoi nous assistons médusés et silencieux comme ce qui est là n'est pas nommable, est juste là.

Ici, une peinture dont la teinte se dégrade, de haut en bas, de rose vers orange. Là, une autre, vert pâle qui se sature de plus en plus. Ici, encore un bleu profond virant presque au noir. Là, encore un violet qui se pare d'une auréole ocre orangé, ou bien de vert sur les bords, ou d'une luminescence diffuse à peine perceptible. Ou : comment un bleu s'éclaire, devient brillance de la teinte de la manière la plus naturelle possible, comme si rien de l'avait provoqué, comme si cela émanait de la teinte elle-même. Les peintures de Gilles Teboul sont cela, ne sont que cela, des « purs ongles très haut dédiant leur onyx » : une couleur qui apparaît et se module sur une surface restreinte, cadrée, orthogonale dans une opposition entre la diffusion de la couleur qui provoque un espace non mesuré et la limite de l'objet tableau qui l'enferme et la cadre – « que dans l'oubli fermé par le cadre se fixe ». Le tableau est une limite dans l'illimité, parfois soulignée par une légère blancheur sur les bords, parfois une brillance. Ces tableaux ne questionnent pas – pour reprendre un stéréotype de la critique d'art et de la médiation –, pas plus qu'ils ne n'interrogent. Ils ne sont qu'une tonalité qui se diffuse, migre, absorbe la lumière, la renvoie, s'éteint ou irradie, se modifie en fonction de la lumière, s'affirme ou s'abolit. Ils ne sont que des fantasmagories colorées et luxueuses qui ne font apparaître que ce qu'elles sont.

Si la peinture déposée sur la toile est bien matérielle, le spectacle qu'elle offre nie en partie cette matérialité, comme la couleur apparaît immatérielle et nie la matière qui la porte. D'autant que la surface résineuse semble placer la couleur dans un espace trouble. La couleur nous semble, de loin, à la surface et, de près derrière une surface qui ne se laisse pas percevoir. La couleur est à la surface et derrière la surface, enfouie dans la profondeur de la matière mais sans que l'on puisse localiser où. Cette ambiguïté entre le fond et la surface donne la sensation que le fond remonte à la surface et que la surface s'engloutit en elle-même. La peinture, ainsi, met à distance le regard, crée une distance entre l'objet matériel que nous concevons – la toile – et le trouble de ce que nous percevons – la fantasmagorie. En ce sens, la peinture est à la fois objet et image, un réel et un irréel. Un objet coloré est là qui se dissout en lui-même et devient sa propre image.

Il ne s'agit pas de l'image d'une aurore boréale, d'un coucher de soleil ou de quelque spectacle naturel, ni même de son équivalent, et pas plus d'une transposition, mais d'une surface colorée qui est à la fois elle-même et crée sa propre image d'elle-même, ici et là, à la fois ici et pas là. Tout cela amplifié par la brillance de la surface – « ce lac dur oublié que hante sous le givre » – qui, tout en ajoutant une distance à la couleur vient refléter l'espace environnant, vous, moi, toute comme la peinture qui pourrait se trouver en face et accentue l'idée – perçue d'abord – de l'image comme reflet. La peinture de Gilles Teboul est un réel et un reflet, un réel et son reflet et l'on a beau regarder, l'on s'y mire autant que l'on s'y plonge, à la fois sur et dans. Elle est une utopie au sens littéral du terme, sans lieu, en l'absence de lieu – « Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne ».

L'objet se fait et se défait, sans cesse, dans l'acte de regarder, balançant continuellement entre ces deux états, pauvre objet de toile, de résine et de pigment et absolu de son annulation.
Ce que nous voyons renvoie, en cela, à la réalisation des œuvres. Gilles Teboul a conçu une chimie, un mélange de résine et de pigments qu'il verse sur une toile posée au sol, toile qu'il cale pour qu'elle soit le plus horizontale. Il faut attendre le lendemain pour que le mélange fasse apparaître la couleur et ses modulations et pour que la peinture – l'objet pictural – apparaisse au peintre. Même si un résultat est escompté, le mélange, la température, une légère déclivité... vont produire un effet qui n'est pas totalement prévisible – réussi ou non. Il y a un acte de déposition et un moment de révélation. La chose se dépose, matérielle, et se révèle à la fois matériellement. La couleur a fini par émerger et se fixer, est devenue surface et image. Elle est apparue et c'est ce à quoi nous assistons médusés et silencieux comme ce qui est là n'est pas nommable, est juste là.